GRANDES LESSIVES
Étendage de la lessive - Berthe Morisot - 1875 National Gallery, Washington - notice du musée |
Grands linges qui m’appelez
Du fin-fond de la prairie,
Blanc qui supplie et qui prie
Mes vastes oiseaux sauvages
Pris par l’aile, et si fâchés,
Mes blancs chevaux attachés
Qui sentez venir l’orage ;
Sous le noir froncis des cieux,
Oui j’arrive, oui j’arrive !
Paix, hennissantes lessives,
Paix, mes cygnes furieux !
Je me bats dans un mélange
De rémiges, de naseaux,
De fortes gifles d’oiseaux.
À grands gestes affolés,
Lessive séchant au bord de la Seine - Gustave Caillebotte - 1892 Wallraf-Richartz-Museum, Cologne - notice du musée |
Mes vastes oiseaux sauvages
Pris par l’aile, et si fâchés,
Mes blancs chevaux attachés
Qui sentez venir l’orage ;
Cheval effrayé par l'orage - Eugène Delacroix - 1824 Musée des Beaux-Arts, Budapest |
Sous le noir froncis des cieux,
Oui j’arrive, oui j’arrive !
Les Chevaux de Neptune (détail) - Walter Crane - 1892 Neue Pinakothek, Münich |
Paix, hennissantes lessives,
Paix, mes cygnes furieux !
Cygne menaçant - Jan Asselijn -1652 Rijksmuseum, Amsterdam - notice du musée |
Je me bats dans un mélange
De rémiges, de naseaux,
L'Ange Surréaliste (détail) - Salvador Dali - 1969 (crédit photo et tableau entier) |
De fortes gifles d’oiseaux.
Paix, mes bêtes, mes archanges !
Ah ! De qui me dites-vous
Qu’elle avait la main moins lente
À calmer ces épouvantes
Qui vous prennent tout à coup ?
Parlez d’elle, oui parlez d’elle,
Grands linges qu’elle soumit,
Ses bien-aimés ennemis,
Grandes lessives cruelles,
Blanc tyrannique, ô si dur,
Esprit des saintes buées,
Esprit des saintes suées,
Fleur de courage, l’azur
De sa petite âme grande.
Ah ! Dites, c’est dans les plis
De vos cinglants paradis
Tout agrandis de lavande
Qu’un dieu a dû recevoir
Cette âme encore mouillée
Qui ne s’est agenouillée
Qu’à la pierre des lavoirs ?
Rendez-la-moi toute vive
Avec ses yeux palpitants
Rien qu’un tout petit instant,
Grands séraphins des lessives.
Lucienne Desnoues
Le lavoir de ma tante ne servait le plus souvent qu'à rincer le linge. Du linge qui avait bouilli plus ou moins longtemps dans la grande lessiveuse à bois de la buanderie dont elle avait empli la cuve d'eau à grand renfort de brocs tirés à la fontaine de la Grand'rue.
Une eau qui chauffait grâce au petit fourneau à bois placé à la base de la cuve, ce qui avait pour effet de répandre peu à peu dans la pièce une abondante buée.
Lavandière, cuisinière, jardinière, mais aussi musicienne à ses heures, après une vie bien remplie, ma tante a rejoint elle aussi le paradis des vertes prairies, où des chérubins jouent à cache-cache dans des draps qui s'étendent comme par magie, sans avoir à y toucher.
Ah ! De qui me dites-vous
Qu’elle avait la main moins lente
À calmer ces épouvantes
Qui vous prennent tout à coup ?
Le linge de la ferme - Désiré François Laugée - 1883 Collection privée |
Parlez d’elle, oui parlez d’elle,
Grands linges qu’elle soumit,
Ses bien-aimés ennemis,
Grandes lessives cruelles,
Lavandière - Charles Denet - début du XXe siècle Musée de l'Ancien Evêché, Evreux - notice du musée |
Blanc tyrannique, ô si dur,
Esprit des saintes buées,
Esprit des saintes suées,
La lessiveuse - Jean-François Millet - 1853-54 Musée du Louvre - notice du musée |
Fleur de courage, l’azur
De sa petite âme grande.
Ah ! Dites, c’est dans les plis
De vos cinglants paradis
Tout agrandis de lavande
Drying Clothes - Helen Paterson-Allingham Collection particulière - crédit photo |
Qu’un dieu a dû recevoir
Cette âme encore mouillée
Qui ne s’est agenouillée
Qu’à la pierre des lavoirs ?
La Lavandière - Paul Guigou - 1860 Musée d'Orsay - notice du musée |
Rendez-la-moi toute vive
Avec ses yeux palpitants
Les Beaux Jours - Émile Claus - 1899 Musée des Beaux-Arts, Gand |
Rien qu’un tout petit instant,
Grands séraphins des lessives.
Lucienne Desnoues
La fraîche - Ed. Gallimard, 1958.
Dans ce poème dédié à sa mère, Lucienne Desnoues se dépeint en train de se débattre au milieu de son linge agité en tout sens par le vent de l'orage qui menace. Puis, elle évoque la nostalgie qui la saisit en reproduisant les gestes de sa mère qui, se souvient-elle, était plus rapide qu'elle pour dépendre son linge en de semblables circonstances.
C'est un poème que j'aime infiniment, car il me rappelle ma tante, une femme courageuse et bonne, qui a toujours vécu à la campagne, dans un village où il n'y avait pas l'eau courante. J'en parlais dans ce billet.
Derrière sa maison, ma tante avait un grand jardin potager, ainsi qu'un pré à luzerne pour nourrir ses lapins. Entre les deux, passait un ruisseau au bord duquel elle avait son lavoir particulier. Rien à voir avec le lavoir communal. C'était une simple baraque close par une porte, qui, avec ses trois murs de planches fixées à des poteaux et son toit de tôle ondulée pour tenir son espace à l'abri des intempéries, était un tout petit peu plus confortable que le lavoir du bord de l'Epte peint par Camille Pissaro.
Le lavoir de ma tante ne servait le plus souvent qu'à rincer le linge. Du linge qui avait bouilli plus ou moins longtemps dans la grande lessiveuse à bois de la buanderie dont elle avait empli la cuve d'eau à grand renfort de brocs tirés à la fontaine de la Grand'rue.
Femme emplissant son seau à la fontaine Léon-Augustin L'hermitte - début du XXe siècle (crédit photo) |
Une eau qui chauffait grâce au petit fourneau à bois placé à la base de la cuve, ce qui avait pour effet de répandre peu à peu dans la pièce une abondante buée.
Blanchisseuses - Jean Siméon Chardin - 1735 Musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg - notice du musée |
Lavandière, cuisinière, jardinière, mais aussi musicienne à ses heures, après une vie bien remplie, ma tante a rejoint elle aussi le paradis des vertes prairies, où des chérubins jouent à cache-cache dans des draps qui s'étendent comme par magie, sans avoir à y toucher.
Sainte Cécile - Nicolas Poussin - 1635 Musée du Prado, Madrid - notice du musée |
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